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Le survivaliste
8 janvier 2019

La capitale de l’Or Noir

Faut-il entretenir le mythe ? Si l'on en croit les flatteurs, cette ex-république de l'URSS serait le nouveau Qatar et Bakou, la nouvelle Mecque architecturale : les trois tours en forme de flamme d'Üç Alov, peignant la nuit de leurs 10.000 diodes, les avenues relookées aux showrooms déserts de Dior ou de Gucci, et la meringue somptueuse signée Zaha Hadid, écrin des cadeaux ringards offerts à la dynastie présidentielle. Audacieuse de conception, une galerie d'art moderne héberge des toiles qui semblent un peu trop celles de quelque Braque azéri, Botero du cru ou Soulages de la Caspienne... Le mythe est donc exagéré. Pour 48 heures de plus, faut-il cependant filer direct aux cratères de boue de Gobustan ? Aux brasiers naturels de Yanar Dag ? Au temple zoroastrien de Sourakhani ? Pas avant de s'être vraiment frotté aux autres Bakou, le turc, le perse, le russe, le cosmopolite, le vrai; le Bakou alternatif, chien de faïence du prétendu clone émirati. Car que voir à Bakou ? Le reste ! Avant de s'affubler d'un bouquet de buildings, Bakou campait ici depuis deux millénaires; sur la Caspienne, mer lourde qui n'est qu'un lac salé et où cinq pays se disputent les derniers esturgeons. Telle une enseigne de pompiste, un austère donjon, la « tour de la Donzelle ", signale la ville des origines. La puissante muraille ouvre ici sa parenthèse, enclos labyrinthique de maisonnettes à moucharabiehs, de façades presque parisiennes. Là-haut trône le palais du XVe, rare période où Bakou était indépendante : kiosques, minarets, hammams, ce Topkapi minuscule et touchant est tout en « pierre d'amande ", le grès qui, à toutes les époques, a produit les plus beaux bâtiments. La civilisation azérie est cousine avec la persane, mais la langue est turque, ce qui permet aux Azéris de suivre la télé d'Ankara. On parle azéri, mais au portable, c'est le russe qui domine - idiome du vieux maître, plus enseigné et apprécié que l'anglais. Les tapis rougeoyants, les plateaux de cuivre, les samovars fumant : deux caravansérails somnolent, troublés par le clac-clac des pions de tric-trac. Bakou était un terminus de la complexe route de la soie, terme inventé ici, soit dit en passant, par un certain Richthofen, oncle de l'aviateur de 1914. Un décor de James Bond La formule poétique cache bien la monotonie des steppes cernant la ville. Présents lors du passage d'Alexandre Dumas, lions et tigres ont disparu. La route soyeuse a passé la main aux pipelines, et la péninsule d'Apcheron, dont Bakou est le port, n'est qu'une sapinière de derricks, d'arbres à cames actionnant les pompes, décor dantesque taillé pour « Le Monde ne suffit pas " - un James Bond tourné ici. Jadis, le goudron solidifié servait aux caravaniers. Mais au XIXe, la lampe à pétrole, puis le cargo et l'auto, changent la donne. Aujourd'hui, c'est 3 %, mais à l'époque, Bakou comptait pour moitié dans la production mondiale. De nos jours, la terre ne débite plus qu'un quart des barils. La ruée vers cet autre or noir - le premier étant le caviar - a marqué la cité. Il n'y a pas que l'opulente villa des frères Nobel - premiers à creuser un puits sur une parcelle de 10 mètres carrés. Tous les « barony " - les barons du pétrole - se sont disputés pour habiter ou phosphorer dans des immeubles toujours plus tarabiscotés, avec avancées, retraits, porches de cathédrale, monstres en bas-relief ou dentelles d'émail. Et Gulbenkian qui fit fortune en récupérant tout ce qui sortait de chaque Fontanka (le derrick russe), du mazout au white-spirit. Et Rockefeller ! Et Rothschild ! Comme en Amérique, ils ont joué les mécènes et légué des théâtres délirants, des salles de concert généreuses qui fonctionnent toujours. Car on sort à Bakou. A côté des boîtes ultra-privées et des bars en cave pour mâles esseulés, Bakou grouille des joies simples de sa promenade en bord de mer. Devant la magnifique gare aux airs de Samarcande, on dévore toutes les crêpes que l'Azerbaïdjan a su inventer. D'amples escaliers à la russe versent leurs foules sages sur les rues larges et boutiquières. Un métro à la moscovite rampe en dessous, avec ses stations hâves en marbre sonore pour rentrer du travail ou aller au spectacle. Le jazz a pris la suite du mugham, chant national escorté par le luth persan, le violon turc et le tambourin. Il tient même festival, grâce au virtuose Vagif Moustafazade qui, lorsqu'on lui interdisait le jazz, répondait au KGB par du meykhana - le rap acerbe des bouges. Barons et prolétaires Bakou va comme un gant aux âmes interlopes. Ici est né Richard Sorge, l'espion qui prédira à Staline - qui l'enverra paître - l'attaque nazie de 1941. Staline lui-même est passé ici. Sur cette place de l'Etendard où claque le plus grand drapeau du monde, s'élevait un de ses domiciles : la prison. Pour remplir les caisses du parti bolchevik, le jeune Joseph, qui se faisait alors appeler Koba (le Robin des Bois géorgien), rackettait les Arméniens contre les Azéris - et les Azéris contre les Arméniens. Avec le triomphe des Soviets, les biens des barons ont été nationalisés. L'abattage de 450 sanctuaires a tempéré les haines communautaires. Mais ce mélange détonnant se flaire aux détours des rues, entre mosquée en pain de sucre, synagogue, églises russes et ce temple arménien, bouclé par une palissade depuis qu'Erevan occupe le Karabagh. A Bakou, on est toujours à deux pas des venelles populaires, bruissant des cent cris et mille métiers de l'Asie centrale. Traitant avec les magnats du Texas, le régime a voulu redonner ses noms de rois du pétrole aux boulevards que le pouvoir rouge avait prolétarisés. Mais ici, on continue à dire « avenue des Ouvriers du Naphte ».

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